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Écouter et parler : des compétences relationnelles fondamentales

  • 11 juin 2019
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 25 août

Ana-Paula Prange



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Écouter et parler sont des actes quotidiens, souvent considérés comme « naturels » chez l'humain. Pourtant, écouter vraiment et s'exprimer clairement ne sont pas des compétences innées.


Lorsque je parle ici d'« écouter vraiment » ou de « bien s’exprimer », je ne fais pas référence à l’acuité auditive ou à la maîtrise des normes linguistiques  – bien que cela puisse y contribuer. Mon approche consiste à considérer ces capacités humaines comme de véritables compétences relationnelles, qui s'apprennent et se cultivent.


Les différentes façons d'écouter


L'écoute active est une compétence relationnelle essentielle, qui dépasse largement ce que permettent l'écoute passive ou l'écoute projective.


Dans l’écoute passive, la personne est présente... sans l’être vraiment. Elle entend ce qui dit l'autre sans l'écouter pleinement. Bien souvent, elle pense déjà à ce qu'elle va répondre dès que l'autre fera une pause. Dans ce cas-là, la parole de l’autre peut être perçue comme une perte de temps.



Dans l’écoute projective [1], l'auditeur projette sur l'autre ce qu'il pense qu'il veut dire. Il sélectionne des éléments en fonction de ses propres filtres et interprétations, au risque de déformer profondément le message initial.


Le danger, ici, est que l'auditeur ne vérifie pas ce qu'il a compris. Il reste enfermé dans sa propre version, souvent partielle et inexacte.


Écouter demande du courage, car cela implique de suspendre temporairement son propre cadre de référence pour essayer de comprendre celui de l’autre.

L’écoute active [2] consiste à accueillir le point de vue de l'autre, tel qu'il s'exprime dans son contexte à partir de son histoire, de ses expériences, de ses croyances, de sa culture, etc.


C'est un effort qui demande de l'énergie, de la disponibilité, et une vraie intention de comprendre, plutôt que de répondre ou de convaincre.


L’expression de soi


Parler n’est jamais un acte neutre. Nous nous exprimons toujours dans un contexte, influencés par les milieux dans lesquels nous avons grandi ou évoluons.

La parole peut tour à tour s’affirmer, se retenir, se libérer ou s’opposer. Lorsqu’une personne parle, elle se construit autant qu’elle se révèle. Elle s’adresse à l’autre, mais aussi à ce qu’elle projette sur cet autre, à ce qu’elle imagine qu’il pense ou attend.


Dans un monde idéal, les familles et les écoles offriraient un cadre bienveillant pour découvrir une communication consciente, émotionnelle et authentique. Mais c’est rarement le cas..

Le linguiste Mikhaïl Bakhtine écrivait :


« Dans le dialogue, l’homme ne se manifeste pas seulement de l’extérieur, mais devient, pour la première fois, ce qu’il est vraiment et non pas uniquement aux yeux des autres, répétons-le, aux siens propres également. Être, c’est communiquer dialogiquement. Lorsque le dialogue s’arrête, tout s’arrête » (p. 344) [3].


Une compétence peu transmise

Ce jeu subtil entre expression de soi et écoute réelle est un art rarement enseigné dès l’enfance.


Dans un monde idéal, les familles et les écoles offriraient un cadre bienveillant pour découvrir une communication consciente, émotionnelle et authentique. Mais c’est rarement le cas.

Dans des environnements peu propices à l’expression émotionnelle, les ressentis sont souvent bloqués. Les jugements extérieurs sont peu à peu intériorisés, jusqu’à inhiber les émotions, les intuitions, les sensations corporelles et la créativité.

À force, le clivage entre pensée, émotion et corps s’installe, permettant de s’adapter à l’environnement... au prix de l’équilibre personnel. Cela peut générer des troubles psychosomatiques, des compulsions, des relations conflictuelles ou une souffrance psychique diffuse..


Libérer la parole : un processus thérapeutique

Libérer la parole, dans un cadre sécurisant, peut être profondément thérapeutique.

Comprendre ce que l’on vit en le verbalisant, dans un espace d’écoute empathique et sans jugement, permet de développer son intelligence émotionnelle et de renforcer son affirmation de soi.


Mais même avec un interlocuteur bienveillant, certaines pratiques peuvent aider à mieux s’exprimer. Inspirées de la communication non violente[4], ces pratiques favorisent une expression authentique et respectueuse de soi et de l’autre.


Quelques repères pour une communication plus consciente :


  1. Parler en son nom : utiliser le « je » plutôt que le « tu ».

  2. Se centrer sur les faits et les émotions : reconnaître ses interprétations, sans les confondre avec des réalités.

  3. Distinguer les vrais sentiments des jugements déguisés : par exemple, « je me sens abandonné » est une interprétation, pas un sentiment.

  4. Identifier les besoins sous-jacents : chaque émotion révèle un besoin comblé ou frustré.

  5. Formuler une demande claire et actuelle, sans charge émotionnelle liée au passé.



Exemple

Marie dit à son ami qu’elle s’est sentie « abandonnée » parce qu’il a oublié de l’appeler comme convenu. Il se sent attaqué, réagit en rappelant des situations où elle aussi a été défaillante. Le ton monte, ils échangent des reproches, puis cessent de se parler pendant plusieurs jours.


Si Marie avait reconnu que « abandonnée » était une interprétation, elle aurait pu identifier qu’elle ressentait de la tristesse ou de la frustration. Elle aurait pu exprimer son sentiment réel et le besoin insatisfait (par exemple : « J’attendais ton appel, j’étais triste de ne pas avoir de nouvelles, j’ai eu l’impression de ne pas compter pour toi. »)


Son ami aurait alors pu lui dire qu’il cherchait un lieu spécial pour l’inviter, et qu’en ne le trouvant pas, il s’était bloqué au lieu d’appeler.


Cet exemple montre comment notre manière de nommer ce que nous vivons influence directement la qualité de nos relations.


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[1] Mucchielli, A. (1995). La communication projective. Dans : , A. Mucchielli, Psychologie de la communication (pp. 151-165). Paris cedex 14, France: Presses Universitaires de France.


[2] Rogers, C. R. La relation d’aide et la psychothérapie. ESF, 1942/1970.


[3] Bakhtine, M. (1970a). La poétique de Dostoievski. Paris : Points Seuil.


[4] Rosenberg, M. B. (2016). Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) : Initiation à la communication non-violente. Ed. La découverte.

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