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  • Photo du rédacteurPrange, A. P.

Le travail n'est jamais neutre

Dernière mise à jour : 12 mai 2020

Ana Paula Prange [1]


ll peut affecter la santé autant négativement que positivement, tout comme la vie intime et les relations familiales. Comprendre les relations entre le travail et la subjectivité est l’une des propositions de la Psychodynamique du travail. Travailler génère de la souffrance et du plaisir.



Pour comprendre dans quelle mesure le travail peut produire du plaisir il faut d’abord comprendre que les personnes, quand elles trouvent les conditions minimales pour « exister », désirent contribuer à son environnement. Dès le plus jeune âge, les êtres humains manifestent des initiatives dans ce sens, nous exprimons l’envie de coopérer avec ceux qui habitent dans la même communauté. L’idée selon laquelle l’être humain est paresseux et a besoin de stimuli externes et de récompenses pour coopérer est une idée fausse.

L’être humain, dans des conditions favorables à son développement, désire produire des choses belles, utiles et bien pour le monde.

Les expériences menées auprès des enfants et leur comportement « naturellement » altruiste, confirment cette idée. Le développement ne se termine pas à l’entrée de l’âge adulte. Les activités y compris celles développées au travail sont des occasions de se transformer au fur et à mesure qu’on transforme les objets, les techniques et les connaissances pour les offrir au monde.


Wilhelm Reich, médecin et psychanalyste dissident de la proposition freudienne, disait que le travail, l’amour et la connaissance sont les sources de nos vies, ils devraient aussi les gouverner. La façon de gérer chacun de ces domaines de vie déterminera la qualité de notre « énergie ». Il s’agit de la même énergie pour s’investir dans les relations, les projets professionnels, les parcours de transformation existentielle, la quête de connaissances et les pratiques quotidiennes.


Le paradoxe de la double centralité

Pour la Psychodynamique du travail, le travail occupe un lieu central dans la constitution de la subjectivité, tout comme la sexualité. Pour résoudre cette impasse, C. Dejours a proposé le terme « le paradoxe de la double centralité ».


Le choix du métier peut influencer profondément les choix amoureux, les valeurs, le style de vie, les relations sociales, etc… Et on peut dire la même chose de nos choix affectifs, amoureux et érotiques, ils composent notre mode de vie et influencent notre activité professionnelle.


En outre, les pratiques professionnelles peuvent générer aussi des comportements spécifiques qui s’étendront aux situations hors travail. Le travail « colonise » notre subjectivité, influence nos relations sociales, nos relations intimes et transforme notre identité. Dans toutes les activités professionnelles nous pouvons trouver du plaisir et de la souffrance.



La souffrance a lieu à partir du contact avec les frustrations et les obstacles présents dans la réalité. Si elle ne peut pas être transformée créativement, elle devient un type de souffrance invalidante et avec un haut niveau de pathogénicité.


Pour éviter les souffrances, les personnes vont développer des mécanismes de défense.

La souffrance au travail et les stratégies défensives collectives

Dans des organisations spécifiques de travail, la souffrance peut être intensifiée selon la tâche, le style de management, les relations entre les collègues et avec le patron et le bas niveau de reconnaissance qui l’individu observe dans son entourage. Pour éviter les souffrances, les personnes vont développer des mécanismes de défense. Celui-ci est un phénomène très connu par la Psychologie dans le cadre individuel.


La découverte de la Psychodynamique du travail montrent que ces mécanismes se développent au niveau collectif. Ce phénomène a été étudié dans plusieurs contextes, l’un des plus connu est la résistance des ouvriers à l’utilisation des procédures de sécurité. Cette résistance peut aussi se développer par des comportements de défi par rapport aux risques (jeux dangereux, bizutages ou rituels d’initiation avec exaltation de la masculinité).


Le sentiment de peur vécu dans un contexte de travail à risques est nié du fait d’une stratégie collective de défense. Si elle est élevée à son degré maximal, elle devient une idéologie défensive. Les conséquences sont énormes tant pour la santé mentale des personnes que pour l’évolution des processus de travail. Quand le but principal est celui de maintenir l’idéologie défensive, le travail perd dans sa rationalité et l’activité est vidée de plusieurs sens.


Ecouter ceux qui travaillent

Conscients de l’importance de l’organisation du travail et le style de management pour la santé mentale, les cadres peuvent repenser leurs façons de conduire leur équipe et les missions assignées aux travailleurs. Il faut aussi leur donner la parole aux travailleurs, en permettant qu’ils puissent débattre de leurs conditions de travail et les choix effectués dans leur quotidien sans faire de ces débats une affaire personnel. Les dialogues serviraient notamment à promouvoir la coopération et renforcer la communication.


Donner la parole aux personnes concernées et renforcer les collectifs de travail sont deux des plus importants défis que nous pouvons rencontrer aujourd’hui quand nous analysons le travail sous le prisme de la Psychodynamique. Jusqu’à que cette pratique puisse être reconnue et soit davantage répandue, c’est à chaque travailleur de prendre soin de lui, d’essayer de s’en sortir tout seul, toujours par des démarches individuelles comme les séances de psychothérapie, de sophrologie, de méditation, etc… Ces pratiques peuvent être sans doute très efficaces, mais la question à laquelle on ne peut se soustraire est : jusqu’à quand allons-nous traiter les problématiques qui sont collectives comme des affaires personnelles ? Jusqu’à quand la psychologie va servir à une certaine démarche hyper-psychologisante qui met toutes les charges psychiques sur le dos des gens au lieu de chercher, avec eux, à changer les conditions sociales potentiellement pathogènes ?


Comme d’autres domaines du savoir, je pense que la Psychodynamique, comme d'autres domaines du savoir, n’a pas toutes les réponses pour cette question. Mais elle peut beaucoup nous aider à comprendre divers phénomènes du monde du travail, c’est déjà un pas important.


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[1] psychologue et psychothérapeute agréée par l'Agence Régionale de Santé de la Haute Garonne


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